Les trois vies de l'homme qui n'existait pas.
Auteur :
Laurent Grima
Categories : Romans
Date de parution : 30/12/2019

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Les souvenirs abondaient. Et même la plus insignifiante des anecdotes me
ramenait au duo que je formais avec mon père. Un binôme où chacun jouait
sa partition, pour lui et pour l'autre, à la perfection. Vivre aussi longtemps
avec son père, on peut trouver ça étrange et malsain. Mais avions-nous
vraiment les moyens d'être éloignés l'un de l'autre ? Nous n'étions
finalement qu'un clan. Un clan de deux. Papa me protégeait de son aura
bienveillante face aux écueils provoqués par notre choix de vie. Et les récifs
les plus meurtriers du Pacifique n'étaient rien par rapport aux menaces qui
planaient sur nous ! Ne pas avoir d'État-Civil, c'était ne pas avoir l'existence
que menaient nos congénères : pas d'adresse, de compte bancaire, de salaire,
de vrais emplois ni de protection sociale... Pas de possibilité de consulter un
médecin lorsque l'on est malade. Pas de facture d'électricité ni d'internet.
Encore moins d'abonnement aux chaînes de télévision payantes. Rien de ce
qui lie le monde, le protège, l'accompagne... et qui l'aliène peut-être un peu.
Nous étions comme sur une île déserte, avec le « vrai monde » devant nous,
séparé par un bras d'océan. Des Robinsons qui pouvaient se permettre
d'adresser des grands gestes du bras aux bateaux sans que personne ne les
voie ou ne vienne les secourir. De toute façon, nous n'avions pas besoin
d'aide. Nous vivions cachés à la frontière de la vie sociale de notre propre
choix. Jamais au-delà... ou presque jamais. Nous nous infiltrions seulement
dans le camp d'en face pour vendre à la sauvette les articles que nous nous
procurions ou bien pour effectuer quelques courses rapides.
J'avais pourtant grandi dans un sentiment de liberté incroyable. La
sensation d'évoluer dans la vérité de l'homme, de toucher du doigt son
essence. J'avais évité l'école, mais papa, érudit sauvage, avait su m'apporter
patiemment et avec amour toutes les connaissances requises pour affronter
l'extérieur. À l'heure où les enfants ciraient les bancs de leur classe en
bâillant devant des cours lénifiants, j'avais déjà visité plusieurs pays et j'étais
incollable sur la plupart des espèces végétales et animales qui m'entouraient.
Je savais aussi cuisiner, réparer une voiture, fabriquer un meuble ou parler
plusieurs langues... Et puis je lisais beaucoup. De tout et sans
discernement... Lire me rendait plus libre encore. Grâce aux livres, je me
recréais un univers. Plus beau, plus grand que celui qui m'ignorait dehors.
J'avais vécu une vie heureuse. Et j'avais déjà vécu longtemps !
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Stéphane Theri
31/12/2019