Les cinq doigts du Monde
Auteur :
LS Cartouche
Categories : Romans
Date de parution : 07/02/2020

Edité en 2010 chez Edilivre, il reste quelques exemplaires disponibles sur le site Internet de la FNAC, AMAZON, CHAPITRE.COM
Je suis heureux de donner une seconde chance à ce roman de société et lui donner sur ce site la visibilité qu'il mérite afin qu'il puisse rencontrer un lectorat.
Résumé : Suite à un choc émotionnel, le romancier Julien Dormont est coupé du monde et se trouve interné dans un hôpital psychiatrique. En effet, depuis le meurtre de sa maman, il est psychologiquement bloqué et parle avec la voix d'un enfant. Lors de ses séances de travail avec le docteur Bartlomory, Julien utilise un langage que personne ne comprend. Sa femme et le docteur cherchent à comprendre les causes de ce trouble et le moyen de ramener Julien parmi eux. C'est entre autre grâce à quelques témoignages et surtout à la lecture de son dernier roman inachevé que le docteur et madame Dormont vont remonter le temps, découvrir les terribles secrets d'enfance de Julien et comprendre le mécanisme qui a plongé Julien dans ce chaos.
EXTRAIT :
De nos jours en banlieue parisienne, aux alentours de 17h00
– Que se passe-t-il Julien ? Pourquoi t’arrêtes-tu ? Pourquoi ne me parles-tu plus ?
– Parce que, ça y est ! Parce que nous sommes arrivés Docteur.
– Julien, peux-tu me dire où nous sommes ?
– Oui Docteur. Nous sommes à l’entrée du tunnel. C’est là, de l’autre côté de la rue.
– Allons-y, si tu le veux bien. Traversons !
– Non, attendez ! Je ne vais pas pouvoir continuer.
– Que se passe-t-il Julien ? Tu es en nage.
Un flot de très grosses gouttes de sueur inonde subitement le visage de Julien.
– Je ne veux plus y aller.
– Julien, tu étais pourtant d’accord tout à l’heure.
– Oui, mais maintenant, je ne veux plus.
– Peux-tu me dire pourquoi ? Peux-tu essayer de me donner une raison ?
– Je ne peux pas. Nous devons nous arrêter. C’est tout !
– Julien! Peux-tu me parler de ce qui nous empêche d’avancer ?
– Le tunnel ! Il ne faut pas rentrer dans le tunnel.
– Pourquoi Julien ! Qu’est-ce qu’il y a dans ce tunnel ?
– Je ne veux pas y rentrer... Je ne peux pas y aller. Je ne peux pas.
– Julien, tu ne peux pas ou tu ne veux pas y entrer ?
– Je ne veux pas. J’ai peur.
– Julien, de quoi as-tu peur ?
– De la mort Docteur, je sais que la mort va venir. – Julien, essaie de rester calme...
La respiration de Julien est de plus en plus forte. Il ne cesse de regarder autour de lui. Ses yeux trahissent son anxiété. Le docteur Bartlomory poursuit quand même.
– Julien ! Je sais que tu as déjà traversé ce tunnel.
– Oui, mais là, Je ne dois pas y retourner. Mes jambes vont me lâcher.
– Elles n’ont rien tes jambes. Allez ! Fais un effort. Nous devons y aller. Nous devons passer de l’autre côté.
– Je n’irai pas. Allez-y, vous !
– Julien, pourquoi m’abandonnes-tu maintenant ? – Je ne vous abandonne pas. Ne dites jamais ça.
– Si Julien. Tu reviens sur ta parole. Avant de partir, nous en avons longuement discuté et je te rappelle que tu étais d’accord pour m’accompagner. Tu t’étais engagé à le faire et nous sommes arrivés. Je ne vois rien qui puisse nous empêcher de continuer.
Allez ! Fais encore un petit effort, c’est tout ce que je te demande. Je sais que nous y sommes presque et que nous pouvons y parvenir.
– Je ne peux pas ! Vous comprenez, je ne peux pas. C’est plus fort que moi.
– Julien, essaie de rester calme et dis-moi ce qui ne va pas. Je suis là pour t’aider.
– Non ! Vous vous trompez.
– Pourquoi Julien ? Peux-tu me dire en quoi je me trompe ?
– Vous vous trompez. Je vous dis que vous vous trompez. Nous ne sommes plus en sécurité.
– Qu’est-ce qui te fait penser cela Julien ?
– Parce qu’avant, j’étais comme vous. Je pensais comme vous et je me suis trompé. Je n’ai pas pu bouger. C’était plus fort que moi. Je suis resté inerte. Je n’arrivais plus à bouger et je n’ai rien empêché.
– Qu’est-ce qui s’est passé Julien ? Qu’est-ce que tu n’as pas pu empêcher ?
– J’ai peur !
Julien regarde autour de lui. Sa tête oscille en continu de gauche à droite. Ses yeux sont grand ouverts et balaient tout son environnement pour lui garantir une vue panoramique. Son corps tremble si fort qu’il en a des spasmes.
– Julien, tu n’as aucune raison d’avoir peur. Aujourd’hui, ensemble, je te jure que nous pouvons passer.
– C’est faux ! Vous ne pouvez plus m’aider.
– Pourquoi Julien ? Tu n’as plus confiance en moi ?
– Ce n’est pas ça...
Cette fois Julien tremble de tout son être. Pas une parcelle de son corps n’est épargnée par ses tremblements. Il se touche les jambes.
– ... Mes jambes sont en train de me lâcher. Je ne vais plus pouvoir marcher ni bouger.
– Julien !
– Ça y est ! Mon sang recommence. Il va une nouvelle fois se figer sans que je puisse faire quoi que ce soit. Il va encore m’abandonner.
– Julien ! Essaie de te calmer. Respire un grand coup et écoute-moi. Je vais traverser seul pour voir si tout est ok.
– Vous dites n’importe quoi parce que vous ne savez rien.
– Qu’est-ce que je ne sais pas Julien ? Vas-y, dis- moi ce que tu vois ? Aide-moi, dis-moi ce qui nous empêche d’avancer.
– Je ne vois rien. Je sais, ce n’est pas la même chose du tout.
– Qu’est-ce que tu sais ?
– Nous ne sortirons pas ou, si nous sortons...
Julien est raide. Son regard fixe le vide. Il semble attendre quelque chose, un événement. La raideur de tous ses membres accentue ses tremblements. Son esprit semble être ailleurs.
– Julien ! Dis-moi ce que tu sais, s’il te plaît.
– Ce tunnel n’emprunte pas une seule voie. C’est le chemin vers le chaos. C’est un passage qui conduit vers la mort.
– Pourquoi Julien ?
– Parce qu’elles sont déjà là, autour de nous. Elles nous guettent. Elles nous attendent.
– Qui est là Julien ?
– Les voix. Elles sont avec nous. Elles sont revenues. Elles me disent que nous allons mourir. Elles rient. Elles se moquent de moi.
– Combien sont-elles Julien ?
– V ous ne comprenez rien. Ça y est ! Ça commence.
– Qu’est-ce qui commence Julien ? Je ne vois rien.
– Le sang, mon sang.
– Qu’est-ce qu’il a ton sang Julien ?
– J’ai froid. Je suis glacé. Je ne sens plus mes pieds. Mes jambes sont paralysées.
– Est-ce que je peux faire quelque chose pour t’aider ?
– Non, vous ne pouvez rien faire. C’est trop tard. Tout ça, c’est à cause de vous. Je ne voulais pas revenir. Je savais que je ne devais pas revenir. Je le savais.
– Pourquoi Julien ?
– La mort et le sang.
– Cette fois, je suis là Julien. Je suis avec toi.
– Vous êtes avec moi mais qu’est-ce que ça change ? Vous ne passerez pas sans elle. Vous n’avez pas sa force. À côté de vous, je ne ressens rien. Moi, je sais que je ne peux pas passer sans elle. Je ne peux pas passer sans elle. Je veux la serrer.
– Serrer quoi Julien. Allez! Nous y sommes presque. Qu’est-ce que tu dois serrer pour passer ?
– C’est mon secret ! Je ne peux le dire à personne.
– Pourquoi Julien. Tu n’as pas confiance en moi ?
– Je ne peux pas le dire, sinon, tout le monde va se moquer de moi.
– Qui va se moquer de toi. Julien, qui va se moquer de toi et pour quelles raisons ?
– Je ne veux pas le dire.
– Julien, je te promets de ne le répéter à personne. Ce sera notre secret à tous les deux.
– Je ne suis pas une poule mouillée Docteur.
– Je sais Julien. Qui a dit ça ?
– Personne encore mais si je le dis, si je parle, tout le monde va se moquer de moi.
– Il n’y a que nous ici Julien. Ce sera notre secret à tous les deux. Je te le promets. Je te le jure.
– Est-ce que je saigne Docteur ? Est-ce que je saigne des yeux ?
– Non Julien, tu ne saignes pas, tu pleures. C’est normal de pleurer. C’est humain.
– Non, je saigne. Ce sont des larmes de sang. Les voix me le disent, Docteur. Elles sont là. Elles sont autour de nous. Elles nous regardent. Elles me surveillent. Elles me disent qu’il va encore y avoir du sang. Elles me disent que nous allons mourir. Vous aussi, vous allez mourir, si vous entrez dans ce tunnel sans elle. Toutes mes forces dépendent d’elle. Je veux la serrer. Je veux la serrer ou juste la toucher...
– D’accord Julien ! Nous allons nous arrêter là.
Julien ne se contrôle plus. Il commence à délirer.
– ... je veux juste la toucher. Je veux... Je veux tusjelatou... Mandeveminmalamage... Mangema mave... Mandeveminmalamage... Mangemamave... Mandeveminmalamage.
– Julien! Julien! Tout est ok. Julien, tu m’as entendu ? Nous allons nous arrêter.
Julien est à présent en position fœtale et bascule d’avant en arrière. Sa respiration est de plus en plus forte et son rythme cardiaque au maximum.
– Mandeveminmalamage... Mangemamave... Mandeveminmalamage... Mangemamave... Mande veminmalamage.
– Vous l’avez encore perdu Docteur.
– Oui, Il est encore parti. De toute façon, il faut s’arrêter. Vous avez vu son pouls! Si nous continuons, nous allons lui provoquer une crise cardiaque et le tuer ! Laissez-le se calmer tout seul et ensuite, s’il vous plaît, ramenez-le dans sa chambre.
Le docteur Bartlomory arrête la séquence vidéo et se tourne.
– Voilà Madame Dormont. Voilà où nous en étions lundi. Je suis sincèrement désolé.
Face à lui, Madame Dormont est en larmes et s’essuie le visage avec un mouchoir. Visiblement très bouleversée par la vidéo, elle s’exprime avec beaucoup d’émotion :
– C’est terrible !... C’est terrible de le voir comme ça. Je n’arrive pas à l’accepter. Pourquoi mon mari parle-t-il comme ça et qu’est-ce qu’il dit docteur ?
– Je ne sais pas encore Madame mais, nous allons trouver. Croyez-bien que nous partageons votre peine. Le voir comme ça est très difficile pour tous les gens qui connaissent son travail. Vous savez, à titre personnel, son premier roman « Cinq ans, la vie ! » est le livre le plus bouleversant de tous les livres qu’il m’ait été donné de lire. Et je ne suis certainement pas tout seul à avoir été aussi ému par les mots de Julien. Il n’y a pas une personne travaillant dans cet hôpital qui ne demande pas de ses nouvelles au quotidien.
Madame Dormont en larmes : « Docteur... »
Elle s’essuie les yeux et se mouche avant de
terminer sa phrase.
– ... Docteur, qu’est-ce qu’il dit au juste ? Qu’est- ce que c’est que ce charabia ? Pourquoi Julien parle-t-il avec une voix d’enfant ? Croyez-vous que Julien parle une autre langue ?
– Je ne sais pas encore ce qu’il dit. Mais, je ne crois pas que ce soit du charabia ou qu’il dise n’importe quoi. Ces mots doivent avoir un sens, au moins pour lui. Mais, je vais avoir besoin de vous. Écoutez bien, s’il vous plaît ! Je vais revenir en arrière... juste au moment où il déconnecte. Soyez, s’il vous plaît, très attentive à ce qu’il dit et à ce qu’il fait...
– Oui Docteur, je vais essayer.
– Reprenez vos esprits et j’y vais !
Le docteur Bartlomory laisse passer quinze secondes et lance une nouvelle fois l’enregistrement vidéo.
– ... Je veux la serrer. Je veux la serrer ou juste la toucher, je veux juste la toucher. Je veux... Je veux tusjelestou... Mandeveminmalamage... Mangema mave... Mandeveminmalamage... Mangemamave...
Le docteur Bartlomory arrête de nouveau l’enregistrement et demande à Madame Dormont :
– Madame Dormont, avez-vous prêté attention à la main de Julien ?
– Que voulez-vous dire ?
– Je vais vous repasser une nouvelle fois la bande. S’il vous plaît, regardez bien la main gauche de Julien. Ensuite, nous en reparlerons.
Le docteur lance une nouvelle fois la vidéo.
– Mandeveminmalamage... Mangemamave... Mandeveminmalamage... Mangemamave... Mande veminmalamage.
– V ous avez vu ! Julien essaie d’attraper ou d’agripper quelque chose avec sa main. Et, c’est au moment précis où il se résigne à trouver qu’il nous quitte à chaque fois pour partir dans son délire.
– Oui, j’ai vu. Mais, que voulez-vous que je vous dise ? Je suis complètement perdue. Je ne comprends rien. Avant ce drame, Julien était un homme sûr de lui, un homme de tempérament. Vous le savez, si vous avez vu l’un de ses films, Julien est en plus physiquement très fort. C’est même un athlète. Et là... Et là, on dirait un petit garçon sans défense... Excusez-moi Docteur ...
Madame Dormont pleure de nouveau à gros sanglots.
– Excusez-moi ! Laissez-moi quelques secondes et ça va aller.
– Je vous en prie.
Le docteur stoppe de nouveau l’enregistrement vidéo. Laisse passer quelques secondes et quand Madame Dormont lui semble être de nouveau disponible, il reprend.
– Madame, si vous le voulez bien, je vais à présent vous passer l’enregistrement de notre séance d’hier. J’ai un détail important à vous montrer. Si vous voulez, on peut s’arrêter quelques minutes et reprendre ensuite. Voulez-vous boire quelque chose, un thé, un café, un verre d’eau ?
– Non, ça va aller. Je vous remercie... Docteur, pourquoi Julien parle-t-il avec la voix d’un gamin ?
– C’est en fait assez simple. Julien a dû subir un choc terrible. Ce choc a vraisemblablement eu lieu durant son enfance. Il a très certainement vécu des minutes ou peut-être seulement une poignée de secondes d’une extrême intensité émotionnelle, d’une telle horreur qu’il est possible que son cerveau ait focalisé sur cet instant de vie et l’ait rangé dans un coin de sa mémoire ou de son subconscient. Oui, il y a plusieurs années de cela, quelque chose a heurté le cerveau de votre mari. Julien l’a gardé pour lui sans jamais le partager avec qui que ce soit. Cette émotion négative a constitué une cellule, un point névralgique en sommeil. Il y a six mois, Julien s’est retrouvé confronté, à cause du malheur qui vous a touchés, à cause de ce terrible drame, à la même émotion et son cerveau a disjoncté. Julien a alors été projeté en une fraction de seconde seulement peut-être trente ou quarante ans en arrière. Et, il est bloqué. Il le restera jusqu’à ce que l’on trouve la clé. Il me faut donc chercher des traces ou plus exactement des indices de ce premier incident pour pouvoir, avec lui, remonter le temps et trouver un lieu qui n’a strictement rien à voir avec le drame qui vous a touchés, il y a de cela six mois maintenant et qui l’a plongé dans cet état. Non, la peur de Julien, ses tremblements, sa voix, c’est le petit garçon qui nous parle même si pour le moment cela ne nous dit pas grand-chose, Julien est sur le point de nous dévoiler ce qui le ronge à l’intérieur depuis de trop nombreuses années. Vous savez Madame, l’intensité des mots, des phrases que l’on trouve dans les livres ou les scénarios écrits par votre mari recèlent tous, j’en suis certain, cette émotion qui donne à son écriture cette densité, cette intensité émotionnelle si forte.
Docteur, croyez-vous que Julien ait été un jour agressé ou violé dans un tunnel ?
– Non, je ne crois pas. Ce tunnel, c’est autre chose. Si je vous ai fait venir aujourd’hui, c’est justement à cause de ça. J’ai besoin de plus d’informations sur ce qu’il s’est réellement passé il y a six mois. Étiez-vous présente avant que l’ambulance vienne le chercher ?
– Non, Docteur. Je suis arrivée bien plus tard. J’étais à l’opéra avec...
Commentaires









Nelly78114
10/02/2020